Pour renouer avec la croissance, les actionnaires de Picard, le fonds britannique Lion Capital, présent depuis onze ans, et la famille Zouari, arrivée fin 2019, ont confié les manettes à une pro de la grande distribution, Cathy Collart Geiger
Cathy Collart Geiger a fait l’essentiel de sa carrière chez Auchan où elle était directrice client et innovation jusqu’à sa nomination en juin 2020 à la tête du numéro 1 du surgelé. Cette femme d’action n’a pas tardé à réveiller l’enseigne. Quelle était votre feuille de route quand vous êtes arrivée début 2020 ? Elle peut se résumer en un mot : relancer la croissance. Ces huit dernières années, Picard a connu une croissance quasi «flat», à 0,6% par an, certes sur un marché en régression. Ma mission est de relancer l’enseigne, avec pour objectif d’atteindre 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2026 contre environ 1,5 milliard à mon arrivée. Mes actionnaires m’en donnent les moyens: cette année, nous allons investir davantage que les années précédentes.
En quoi le Covid a-t-il changé la donne ? La crise sanitaire a été une opportunité que nous ne pouvions prévoir. Les consommateurs ont retrouvé l’intérêt du surgelé, qui est facilement stockable. Les familles ont aussi renoué avec le désir de faire la cuisine. Si bien que, dès le premier confinement, nous avons bénéficié d’une forte croissance, particulièrement dans les produits bruts. En 2020, nous avons connu une progression de 15% du chiffre d’affaires et gagné 500.000 nouveaux clients. Mais en même temps, cette crise nous a fait prendre conscience que nous n’étions pas bien armés pour répondre au boom des achats en ligne, qui sont passés de 7 à 10% dans le secteur du surgelé. Nous ne couvrions alors que 25% du territoire en livraison.
Depuis, vous avez accéléré dans le digital ? Nous livrons désormais dans toute la France, soit avec notre propre flotte, soit avec Chronofresh. De même, le click&collect sera disponible partout à la fin de l’année. Enfin, nous testons dans les grandes villes la livraison express, en quinze minutes maximum, avec Deliveroo, dans un rayon de 2 kilomètres autour du magasin. Et cela avec nos standards de qualité: double glacière, accumulateur de froid et petit mot à l’attention du client. Cette expérience est très concluante: le panier est identique à celui que l’on trouve en magasin, avec un montant moyen de 27 euros. Et cela nous permet de toucher une nouvelle clientèle, plus jeune: c’est important, car 30% de nos acheteurs ont plus de 65 ans. Au final, notre chiffre d’affaires numérique est passé de 2 à 4%, et la moitié des utilisateurs de ces services en ligne sont de nouveaux clients
Vous retravaillez également votre programme de fidélité, pourquoi ? Nos 12 millions de clients viennent en moyenne 7 fois par an. Mais ce chiffre cache de grandes disparités. Certains viennent plus de 25 fois, quand 30% ne se présentent qu’une seule fois, à Noël. Nous ne pouvons plus communiquer de la même manière avec un acheteur fidèle et un occasionnel: au premier, il faut conseiller des nouveautés ou des catégories de produits qu’il ne consomme pas encore; au second, il faut lui rappeler qu’à Pâques aussi nous avons des gammes festives qui valent le détour.
Nous devons passer d’une approche «mass market» à une relation plus personnalisée pour multiplier les occasions de visite et de consommation. C’est l’un des axes stratégiques de notre plan Proxima. Nous comptons 8 millions de détenteurs de la carte de fidélité, dont 1,3 million de plus depuis mon arrivée. Nous devons mieux exploiter cette data. Il faut aussi davantage communiquer avec notre communauté: nous venons ainsi de lancer notre premier produit coconçu avec une cliente. Après un appel à candidatures sur les réseaux sociaux, sa recette de poulet-chorizo a été sélectionnée et nous l’avons mise en œuvre avec un fournisseur.
L’autre levier de croissance, ce sont les ouvertures de magasins. Quels sont vos objectifs ? Les tables rondes que j’ai organisées, aussi bien avec des clients que des non-clients, montrent qu’au-delà de vingt minutes de route, certains appréhendent de se déplacer car ils craignent un risque de décongélation. Nous avons un potentiel de 200 magasins supplémentaires, dans les villes de 8.000 à 10.000 habitants. Alors qu'auparavant nous ouvrions 5 à 10 magasins par an, nous en avons inauguré 19 l’année dernière et allons passer à 30 en 2021. Mais nous ne pouvons pas tout faire en fonds propres et, dans les villes petites et moyennes, un commerçant local est souvent bien plus efficace: nous accélérons donc la franchise, longtemps confidentielle chez Picard, en nous ouvrant à des profils d’entrepreneurs plus divers que par le passé. Les lancements des derniers mois sont tous extrêmement encourageants.
Trouvera-t-on la même offre et les mêmes prix partout ? Les mêmes prix, oui. S’agissant de produits Picard, à marque de distributeur (MDD), on comprendrait mal que les étiquettes changent d’une région à l’autre. Aucun grand distributeur ne fait cela avec ses MDD. S’agissant de l’assortiment, nous allons adapter l’offre par zone de consommation et aussi travailler les portions. Pour caricaturer un peu, nous devons proposer plus de soupes, et plus tôt dans l’année, à Lille qu’à Marseille. Mais c’est un chantier long et complexe. Pourquoi travaillez-vous sur un nouveau concept de magasin ? Nous avons plusieurs points à résoudre ou à améliorer: comment faire place à de nouvelles gammes, mettre en avant nos innovations – nous lançons chaque année 250 nouveaux produits –, gérer les flux de click&collect. Nous devons aussi retravailler le snack-bar, qui n’a pas eu le temps de faire ses preuves avant l’arrivée du Covid: dans certains magasins, il a trouvé sa place et fonctionne bien, dans d’autres, il en occupe beaucoup sans être suffisamment rentable.
La philosophie générale, c’est de mettre nos collaborateurs au centre du dispositif. Nous en interrogeons un grand nombre, d’ailleurs, pour connaître leur avis: sur ce qui les gêne au quotidien, ce qui pourrait être amélioré dans l’organisation du point de vente. La qualité de l’accueil et de service est notre force. Les deux tiers de notre budget formation sont consacrés à cela. Et tous nos collaborateurs sont associés à la réussite de l’entreprise à travers l’intéressement et la participation – soit 16,5 mois de salaires en 2020, prime Macron incluse. Quelles sont vos ambitions à l’international ? Notre expansion à l’étranger n’a pas toujours été une histoire à succès. Nous avons fermé la Suisse, vendu l’Italie, la Scandinavie… Et pourtant, Picard incarne la gastronomie française, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas ailleurs. Nous repartons sur de nouvelles bases, en travaillant avec des distributeurs qui connaissent bien leur marché. Au lieu d’attaquer des pays avec nos magasins en propre, nous ouvrons des corners dans des réseaux bien installés.
A Dubaï, notre corner chez Marks&Spencer fonctionne bien et 10% seulement de la clientèle est française. Notre gamme comporte plus d’une centaine de produits, avec en vedette les macarons, la demi-baguette, les viennoiseries… Nous avons ouvert cet été aux Emirats arabes unis et à Hong Kong. En Angleterre, nous sommes distribués en ligne par Ocado, et par RedMart à Singapour. L’inflation de certaines matières premières sera-t-elle répercutée dans vos prix ? Hormis dans les produits de la mer où nous serons obligés d’augmenter nos tarifs, avec la volonté de rester compétitifs en matière de rapport qualité-prix, nous abordons la problématique de l’inflation avec sérénité. Picard noue des partenariats de long terme avec les industriels, c’est sa force. Nous ne sommes pas dans les négociations annuelles comme j’ai pu les connaître chez Auchan, cela se passe au fil de l’eau. Ce qui m’a frappé en arrivant, c’est qu’ici on commence par discuter cuisine avant de parler tarifs.
Nous n’achetons jamais une recette, nous échangeons avec nos partenaires pour la coconstruire, grâce à un service R&D internalisé. Par ailleurs, les achats dans le surgelé ne se font pas au jour le jour, mais par campagnes. Cela dit, la pénurie de certains produits, l’abricot ou la mirabelle, par exemple, nécessitera de revoir certaines recettes. Que pensez-vous du contentieux ouvert par les fabricants de roquefort concernant le Nutri-score ? Est-ce que cela a du sens de dire au client que c’est gras et salé? Il le sait et c’est pour cela qu’il l’aime, non ? Nous revendiquons de proposer du choix de A à E! Avec Picard, on doit pouvoir faire un régime ou se faire plaisir avec des produits très gourmands. Nous venons ainsi de sortir un croque-monsieur particulièrement onctueux: il est classé E, très bien. Dans le même temps, 80% de nos plats cuisinés sont notés A ou B au Nutri-score. Ce qui importe, c’est de donner le choix, de n’être ni segmentant ni extrémiste, tout en donnant les informations à l’acheteur: nous utilisons déjà le Nutri-score sur notre site Internet et on le fera figurer sur tous nos emballages d’ici 2022.
Cela ne nous empêche pas de retravailler 250 produits par an, notamment pour réduire le sucre ou le sel, mais aussi pour réduire toujours plus l’utilisation d’additifs. Nos gammes sont déjà sans conservateur, sans huile de palme, sans édulcorants. Sur un sujet proche, le bio, nous avons la même logique: nous n’avons pas vocation à devenir tout bio, mais nous voulons proposer cette alternative dans chaque famille de produits. Aujourd’hui, 10% de nos références sont bio, et elles représentent 8% de notre chiffre d’affaires. Quels sont les produits qui ont la cote en ce moment dans vos magasins ? La cuisine évasion a été très porteuse pendant le confinement, sans doute comme un substitut au restaurant: c’est la catégorie qui a le plus progressé et cela n’a pas fléchi depuis. Nous devons ce succès à un vrai savoir-faire, souvent local: 70% de nos produits sont made in France, mais le riz gluant à la mangue est fait en Thaïlande et notre panettone en Italie !
Les produits bruts ont aussi explosé l’an dernier et nos innovations fonctionnent bien également, en particulier ce que nous appelons la rétro-innovation: revisiter un plat en apportant une nouveauté technique. C’est le cas avec notre Raclette bowl, en portion individuelle: des pommes de terre et du fromage que vous réchauffez au micro-ondes, puis la vapeur dégagée suffit à mettre la charcuterie, posée dessus, à la température idéale. Ou notre bûche Tatin, qui est une petite prouesse. En quoi votre expérience chez Auchan apporte-t-elle un regard neuf sur l’entreprise ? Chaque entreprise a une histoire. Mon premier souci a été de comprendre celle de Picard, de comprendre ses atouts et ses marges d’amélioration, de la «recontextualiser», sans venir avec des solutions toutes faites. Il faut transformer l’entreprise mais dans le respect de ce qu’elle est. Quand j’ai commencé comme chef de rayon chez Auchan à 23 ans, l’enseigne avait une forte culture entrepreneuriale. On laissait à chacun la possibilité d’essayer des choses, il y avait un droit à l’erreur. Dans le magasin où j’ai débuté dans le Valenciennois, j’ai par exemple créé un espace mariage, avec un joli parquet au sol, etc. Le résultat n’a pas été très concluant mais on ne me l’a pas reproché: ça m’a ensuite donné l’idée d’un espace lingerie – il fallait bien que je fasse quelque chose de mon parquet ! –, qui a bien fonctionné et existe toujours.
Je me souviens de Gérard Mulliez qui m’a dit une fois: «Tu n’as rien tenté de nouveau cette semaine ? On te paie trop !» C’est cet esprit agile, le goût de l’entrepreneuriat que je veux partager chez Picard. Quand cela ne marche pas, ce n’est pas grave, on arrête. Je veux aussi renforcer la visibilité de la marque, la rendre incontournable dans l’esprit des Français à travers une communication davantage incarnée. Dans sa dimension de marque employeur aussi: il n’y avait pas de «people review», de politique d’alternance, de réflexion très poussée sur la qualité de vie au travail. Et comme marque citoyenne enfin, afin d’accentuer nos efforts en matière d’emballage plastique et d’empreinte carbone.
Par Claire BADER & Christophe
David
Source : https://www.capital.fr/entreprises-marches/cathy-collart-geiger-pdg-de-picard-on-ne-repercutera-pas-toutes-les-hausses-de-prix-1424824
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